Patiente et intrépide, Agnieszka parvient toujours à glaner dans la forêt les baies les plus recherchées, mais chacun à Dvernik sait qu’il est impossible de rivaliser avec Kasia. Intelligente et pleine de grâce, son amie brille d’un éclat sans pareil. Malheureusement, la perfection peut servir de monnaie d’échange dans cette vallée menacée par la corruption. Car si les villageois demeurent dans la région, c’est uniquement grâce aux pouvoirs du "Dragon". Jour après jour, ce sorcier protège la vallée des assauts du Bois, lieu sombre où rôdent créatures maléfiques et forces malfaisantes. En échange, tous les dix ans, le magicien choisit une jeune femme de dix-sept ans qui l’accompagne dans sa tour pour le servir. L’heure de la sélection approche et tout le monde s’est préparé au départ de la perle rare. Pourtant, quand le Dragon leur rend visite, rien ne se passe comme prévu...
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Lorsque je suis tombée sur la couverture et le résumé de ce roman, plébiscité par Robin Hobb, je n’ai pas mis plus d’une demi-seconde avant de me décider. J’étais pourtant à mille lieues de penser que Déracinée ferait partie de ces univers absolument uniques et atypiques. Je m’attendais à quelque chose de très bon, à la place, je suis tombée amoureuse de cette histoire, ni plus ni moins.
Agnieszka vit dans une contrée à laquelle elle est très attachée. Dans la vallée de Polnya, où chaque habitation est menacée par le Bois, une abomination qui gagne de plus en plus de terrain, la seule barrière qui les protège est celle que le Dragon leur offre. En contrepartie, les villageois doivent lui laisser choisir parmi toutes leurs filles celle qui sera à son service durant une décennie. Agnieszka en est consciente – comme tous les habitants de la vallée –, celle qui sera choisie lors de la prochaine sélection ne pourra être que Kasia, sa meilleure amie, aussi belle qu’intelligente. Agnieszka fait pâle figure en comparaison, et a tenté de se préparer toutes ces années au départ de son amie la plus chère. Pourtant, lorsque le Dragon vient réclamer son dû, ce n’est pas Kasia qu’il choisit, mais Agnieszka. Celle-ci n’a aucune idée de ce qui l’attend, mais son départ va être le début d’une aventure qu’elle n’aurait jamais crue possible, une quête identitaire inattendue, de celle dont on ne revient pas indemne.
Déracinée… En commençant ce roman, je ne savais pas très bien à quoi m’attendre. Le résumé de l’histoire n’était en réalité que la partie émergée de l’iceberg, une base sur laquelle se tisse une intrigue arachnéenne, qui étend ses fils dans tous les sens pour créer un univers qui baigne dans un folklore slave saisissant.
J’ai d’abord été séduite par l’allégorie de la princesse enlevée par un dragon et enfermée dans une tour, attendant d’être sauvée par un prince. À la seule différence qu'Agnieska n’a rien d’une princesse, et peut très bien se sauver elle-même. Sans parler du fait que, s’il le pouvait, le Dragon se débarrasserait volontiers d’elle, et que le prince en question n’est pas forcément le gentil de l’histoire. Naomi Novik bouscule la tendance et réoriente les priorités, faisant prendre bien souvent des tournants inattendus au récit.
L’ambiance est à la lisière du merveilleux, avec un côté très conte de fées, mêlé à une noirceur prégnante et difficile à identifier dans les premiers chapitres. Robin Hobb l'avait dit et je dois bien admettre que c'est la vérité : ce livre est enchanteur. Un mélange de candeur et de dureté, si bien qu’on ne sait jamais ce que nous réservent les pages suivantes. Le lecteur est confronté aux mêmes interrogations que l’héroïne, et va jusqu’à évoluer avec elle à mesure que l’étau se resserre autour de la vallée.
Agnieszka est une jeune fille que j’ai beaucoup aimé suivre. Terminée la princesse au teint de porcelaine, parfaite en tous points et tributaire d’un prince qui tarde à venir. Non, Agnieszka s’éloigne des stéréotypes que l’on serine aux petites filles depuis l’enfance. Elle n’est pas soigneuse, elle a la faculté extraordinaire de se salir en toute occasion, et elle a également une fâcheuse tendance à n’en faire qu’à sa tête. C’est aussi une fille simple, qui ne recherche ni les cadeaux ni les richesses. Elle s'en tartine, des princes séduisants et pourfendeurs de créatures malfaisantes.
Je l’ai aimée parce qu’elle était entière, authentique et toujours soucieuse de respecter ses propres convictions. Même dans les moments où la situation semble inextricable, Agnieszka se creuse la soupière pour trouver des alternatives et sauver les meubles. Elle est très courageuse et n’hésite pas à partir bille en tête, même si cela la met en grave danger. Elle est tellement surprenante que l’on ne peut pas deviner à l'avance ses réactions. C'est justement ça qui est amusant, car le Dragon se retrouve vite dépassé. Elle ressent un plaisir tout particulier à lui compliquer la vie.
Aaaah, le Dragon, la figure masculine la plus fascinante du roman. Il est rare de tomber sur des personnages aussi charismatiques, qui emplissent une scène par leur simple présence. J’ai aimé ses airs ronchons et sa mine toujours patibulaire. Je me suis attachée à cet homme obscur, qui dissimule bien ses émotions derrière un masque infranchissable. Sa relation avec Agnieszka est très subtile et c’est une chose que j’ai beaucoup appréciée. L’auteur suggère, mais n’impose rien ; c’est particulièrement fin.
Que serait un monde imaginaire sans magie ? De la magie, on en trouve partout, dans ce roman. Une magie qui se dévoile de plusieurs manières possible, mais toujours empreinte d’une poésie singulière. Elle est riche et captivante, elle imprègne la trame tout entière. On peut la découvrir sous sa forme la plus corrompue, mais aussi la plus pure. Un vrai régal.
Je ne peux pas terminer cette chronique sans parler de la fin qui conclut à merveille les aventures d’Agnieszka. Une fin pleine de promesses, mais aussi teintée d’une certaine mélancolie. J’aurais bien aimé rester un peu plus longtemps sur les terres de Polnya, voire ne jamais repartir. Car lorsqu’on y entre, il est très facile d’y rester enracinée.
En résumé, je me suis laissée bercer par la magie des mots de Naomi Novik, jusqu’à me retrouver totalement happée par cet univers extraordinaire, qui représente tout ce que j'aime en fantasy. On ne peut pas soupçonner à l’avance tout ce qui nous attend, mais l’aventure vaut le coup d’œil, et bien plus encore. Déracinée fait partie de ces histoires rares, ces diamants bruts qui n’ont pas besoin d’être polis. Alors si percer les sombres secrets du Bois ne vous fait pas peur, foncez tête baissée.
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REMERCIEMENTS
Un grand merci aux éditions Pygmalion pour leur confiance.